Le Château des Milandes
Le paradis multicilore de Joséphine Baker
Après une douce rêverie dans les jardins et un somptueux spectacle de fauconnerie, entrons dans ce château chargé d’histoire et d’émotions où l’artiste avait choisi de fonder sa célèbre “Tribu Arc-en-ciel”au coeur de son “Village du monde”, un complexe touristique fraternel et humaniste.
Texte & Photo par Frédéric Lemont
Les Milandes, le paradis multicolore de Joséphine Baker…
C’est donc sur les hauteurs de la rive gauche de notre sinueuse Dordogne, peu après Castelnaud-la-Chapelle, que Joséphine Baker avait choisi de s’installer. De poser ses grandes malles remplies de costumes à plumes et de robes à paillettes.
De se poser elle aussi, après des années de spectacles, de lumière et de voyages. C’est aux Milandes qu’elle a décidé de fonder sa famille et de rêver d’une capitale de la fraternité humaniste. Un fantasme un peu fou qui tient du génie !
Une demeure de contes de fées
En entrant dans l’enceinte du château des Milandes, on se dit qu’il y a plus de lumière qu’avant l’imposant portail. On est saisi par le raffinement des lieux. La dentelle de pierre qui habille la bâtisse. Les allées qui dessinent le jardin à l’anglaise. Et ce splendide parterre de 3000 bégonias qui souligne une demeure tout droit sortie d’un conte de fées.
On comprend parfaitement pourquoi Joséphine est tombée amoureuse des Milandes, pourquoi elle a décidé d’en faire un endroit à part, une capitale mondiale du bonheur… Avouons qu’on se verrait bien en faire autant !
Ne nous introduisons pas tout de suite dans le château et dans l’intimité de Joséphine. Flânons dans ces jardins à plusieurs niveaux, imaginons Joséphine le faire aussi de son temps, avec sa ribambelle d’enfants. Et puis, écoutons ce que l’audioguide nous raconte… Construit en 1489, Les Milandes a eu plusieurs vies, plusieurs silhouettes. Famille de l’aristocratie française originaire de Lot-et-Garonne depuis le Xe siècle, les Caumont s’installent en Périgord dans la forteresse de Castelnaud grâce au mariage entre Nompar IV de Caumont et Jeanne de Castelnaud.
La recherche de plus de confort
L’austérité de la bâtisse de Castelnaud convainc alors François de Caumont, arrière-petit-fils de Nompar IV de faire construire une demeure qui laisse entrer la lumière pour son épouse Claude de Cardaillac. Les Milandes devient la résidence des Caumont.
Le château sera habité tout au long du 16e siècle. Mais la conversion de la famille au culte protestant bousculera quelque peu le cours de son histoire. Anne, fille de Geoffroy et Marguerite, est enlevée à Castelnaud et déshéritée par sa mère suite à son mariage avec un catholique. Jacques Nompar hérite alors des Milandes et l’entretient jusqu’en 1652, date de son décès – à 93 ans, tout de même ! Par la suite, ses descendants conservent le château, mais laissent à des fermiers le soin de l’entretenir. Après la Révolution, le domaine est laissé à l’abandon. C’est Charles Auguste Claverie, grand industriel français ayant des attaches en Sarladais, qui rachète la propriété en 1900. Il décide alors de la remodeler pour en faire un véritable bijou. Quatorze ans de travaux sont nécessaires…
Homme pragmatique, Claverie fait bâtir un chai et une ferme pour que le domaine ait un rapport. En 1908, il fait appel à Jules Vacherot, architecte paysagiste de la ville de Paris, pour créer un jardin à la française entouré d’un parc à l’anglaise.
Depuis 2003, une succession de travaux ont été réalisés par les nouveaux propriétaires, Claude de Labarre et sa fille Angélique, pour donner une dimension supplémentaire à ce jardin dans lequel de nombreuses essences d’arbres parfument l’air ambiant.
Jardins et volières…
En 2016, le jardin français retrouve ses grands traits. Les structures originelles ainsi que l’esprit si cher à son concepteur sont conservés et complétés par une réalisation contemporaine aux lignes épurées qui vient sublimer le lieu grâce à l’eau.
Le résultat est spectaculaire et on comprend aisément pourquoi ces jardins sont inscrits au titre des Monuments historiques !
En marchant un peu, on tombe sur une volière d’oiseaux exotiques aux mille couleurs. Le château, qui propose des activités ludiques pour les enfants, permet aux plus jeunes d’entrer dans cette volière accompagnés d’un spécialiste, pour y nourrir ces magnifiques volatiles et apprendre sur eux. Un peu plus loin, on tombe sur des volières d’un tout autre genre. Et pour cause : environ 70 rapaces vivent eux aussi aux Milandes. Les 6 hectares de parc leur permettent d’évoluer en toute sérénité.
L’arrivée de Joséphine dans le Périgord
Patrick et Steeve, les fauconniers, présentent une dizaine de rapaces diurnes et nocturnes aux visiteurs durant un superbe spectacle. Ces deux pédagogues passionnés ont tissé des liens solides avec les animaux, même s’ils affirment volontiers qu’on n’apprivoise jamais vraiment un rapace !
Cette représentation a lieu tous les jours sur l’esplanade Nord du château, devant la façade Renaissance de l’édifice dominant la Dordogne. Un décor rêvé pour admirer ces beautés de la nature !
Mais, il est temps de remonter vers le château et d’y entrer pour aller à la rencontre de Joséphine Baker. L’artiste tombe amoureuse des Milandes quelque temps avant la Seconde Guerre mondiale, mais elle n’en devient propriétaire qu’en 1947, année de son mariage avec le compositeur Jo Bouillon. On est tout de suite enveloppé par la présence de l’artiste, notamment par le biais de documents sonores diffusés dans la salle du music-hall. On entend la voix de Joséphine lors d’interviews. Elle explique ses combats – contre le racisme, pour la liberté, pour la France, pour l’égalité, pour l’amour, pour ses enfants, pour conserver Les Milandes malgré de grosses difficultés financières.
12 enfants de nationalités et confessions différentes
Porté par la voix de Joséphine, on découvre aussi son métier de meneuse de revues, de chanteuse et danseuse grâce à l’exposition de grandioses tenues de scène – une combinaison-pantalon portée au Carnegie Hall de New York, une robe bustier signée Dior, une tenue en cuir qui l’a habillée à Bobino, sans oublier la fameuse ceinture de bananes qui l’a rendue si célèbre en 1927, dans La Folie du Jour.
Des photos et des gravures font voyager dans le temps, vers une époque affranchie ou des affiches placardées dans Paris vantaient La revue nègre au Music-hall des Champs-Élysées. Au fil de la visite, on découvre les émouvantes chambres des enfants, celle de Joséphine et Jo, sophistiquée et simple à la fois, les étonnantes salles de bains art déco… et enfin la cuisine, un véritable lieu de vie où la famille dégustait ses repas et prenait le temps de se retrouver. Joséphine a vécu 30 ans aux Milandes, où elle a souhaité élever et aimer ses 12 enfants de nationalités et de confessions différentes, sa “Tribu Arc-en-ciel”, symbole d’un monde plus uni.
Juste après avoir acheté le château, Joséphine se lance dans la création du premier complexe touristique d’Aquitaine. Deux ans plus tard, la quasi-totalité du bourg des Milandes lui appartient. Son “Village du monde”, qu’elle aime aussi appeler “Capitale mondiale de la fraternité”, emploie jusqu’à 150 personnes et reçoit un demi-million de visiteurs chaque été entre 1954 et 1960.
« Souris à la vie, souris à l’amour, souris, allez !«
Mais le complexe devient vite un gouffre financier… Malgré les soutiens de Brigitte Bardot et de Grace de Monaco, le château est finalement mis aux enchères. Joséphine en est alors expulsée manu militari en 1969. Enfin, on traverse la grande salle à manger où elle recevait ses amis. “Souris à la vie, souris à l’amour, souris, allez !, toujours sourire, malgré les soucis, malgré les ennuis, sourire”, l’entend-on chanter…
On ressort donc des Milandes en souriant. Habité par l’émotion. Le panache des lieux ne laisse pas indifférent. Le destin de Joséphine non plus ! Après tout, comment ne pas admirer cette femme généreuse qui rêvait d’un monde plus fraternel ? ■
+ d’infos sur le site www.milandes.com
Joséphine, une résistance engagée
“C’est la France qui m’a faite. Je suis prête à lui donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez”, déclarait une Joséphine Baker recrutée dès 1939 par le 2e Bureau des Forces françaises libres pour servir de couverture au capitaine Abtey (chef du contre-espionnage militaire à Paris). Grâce à sa renommée internationale, l’artiste circulait librement et pouvait ainsi aider des réfugiés à quitter le pays. Au cours de soirées officielles, elle jouait les agents de renseignements. Ses partitions de musique permettaient même la transmission de messages codés. En 1961, le Général Valin lui remet donc comme il se doit la Légion d’honneur, chez elle, au château des Milandes…
(Photo Carl Van Vechten, Wikimedia Commons)
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