Le château de Michel de Montaigne

Le château du célèbre auteur et philosophe

“Nous sommes plus riches que nous ne pensons ; mais on nous dresse à l’emprunt et à la quête”, écrivait Michel de Montaigne. Entrons dans sa demeure pour y croiser son esprit qui ne cessa de réfléchir sur la condition humaine. Un sujet si indémodable…

TEXTE & PHOTOS – Frédéric Lemont

Le Château de Michel de Montaigne | Article paru dans le numéro d’automne 2019 de notre magazine.

Si l’on célèbre volontiers la mémoire, l’intelligence et le talent d’Étienne de La Boétie lorsqu’on passe devant sa demeure sarladaise, on oublie souvent que son grand ami de toujours Michel Eyquem de Montaigne était natif de ce Périgord dont les ressources historiques et artistiques sont décidément d’une richesse unique. Ce grand philosophe, humaniste et moraliste, écrivain érudit, précurseur et fondateur de ce que nous appelons aujourd’hui les “sciences humaines” est en effet né en 1533 et mort en 1592 au château de Saint-Michel-de-Montaigne, dans l’ouest du département.

Aimé par son père, pas par sa mère

C’est son arrière-grand-père, Ramon Eyquem, qui fit l’acquisition de cette maison forte du XIVe siècle en 1477. C’est lui aussi qui accéda au statut de Seigneur de Montaigne. Pierre Eyquem, l’un de ses fils, fut le premier à venir s’installer dans cette demeure périgourdine qu’il fit aménager… et fortifier bien sûr ! De son mariage avec Antoinette de Louppes, fille d’un marchand toulousain, Pierre eu huit enfants dont Michel était l’aîné. Aimé par son père, qui le prit sous son aile et lui donna une éducation impeccable, il fut en revanche rejeté (on dit même détesté) par sa mère.

Mais, lorsque l’un de ses parents ne donne pas de place à un enfant, n’est-ce pas là une motivation supplémentaire pour partir en quête philosophique d’une autre place pour exister en paix ? Ce sentiment d’abandon n’a-t-il pas motivé Montaigne à réfléchir, à écrire, à se poser des questions sur la condition humaine, ce qui fit de lui l’un des plus grands penseurs de l’Histoire, un philosophe dont les écrits restent d’une modernité insolente aujourd’hui encore ? La psychanalyse – domaine qui aurait probablement passionné Montaigne – n’existant pas encore à l’époque, nous n’en saurons rien.

Son grand ami, Étienne de la Boétie

Après des études de droit, Michel de Montaigne devient conseiller à la Cour des Aides de Périgueux, puis au Parlement de Bordeaux où il siège durant une quinzaine d’années. C’est là qu’il fait la connaissance d’Étienne de la Boétie, auteur du discours de la servitude volontaire, hymne à la liberté civique, un texte qui demeure lui aussi si actuel dans notre société contemporaine à la recherche de repères.

Leur profonde amitié inspire à Montaigne la célèbre phrase : “Parce que c’était lui, parce que c’était moi”. La mort de La Boétie, emporté par la peste en 1563, met un terme à cette connivence intellectuelle et artistique hors du commun. Montaigne est plongé dans une grande solitude, que son mariage avec Françoise de la Chassaigne, fille de l’un de ses collègues au Parlement, ne parvient pas à apaiser.

(suite de l’article après les photos)

De leur union naissent six filles. Seule l’une d’elles survit: Éléonore. Deux ans après la mort de son père survenue en 1568, Michel de Montaigne se retire et décide de consacrer son temps à la méditation et à la lecture des quelque mille ouvrages – un chiffre exceptionnel pour l’époque ! – rassemblés dans sa “librairie”, au dernier étage de cette tour du château qui devient son repaire, le plus loin possible des contraintes familiales et professionnelles.

Maire de Bordeaux    

Mais, Montaigne souffre de la gravelle [caractérisée par la formation de concrétions plus ou moins grosses dans les reins ou dans l’urine analogues à de petites “pierres”, NDLR], une maladie héréditaire qui le fait énormément souffrir. Ce qui lui donne aussi un prétexte pour entreprendre des voyages couvrant des distances très inhabituelles pour l’époque, vers des villes thermales à travers l’Europe.

Accompagné de son frère et de trois autres jeunes nobles, il passera donc à Paris pour présenter ses Essais à Henri III, avant de se rendre en Suisse, en Allemagne, puis en Italie. Petite précision : à l’époque, on voyage des jours et des jours à cheval, sur des selles en bois, comme celles qui sont exposées dans la tour aujourd’hui, sur lesquelles Montaigne s’est peut- être lui-même assis. Le 7 septembre 1581, une lettre l’informe de son élection à la mairie de Bordeaux.

Un voyageur polyglotte    

Henri III le presse donc de rentrer au pays. Bien que réélu à la fin de son mandat en 1583, il poursuit la rédaction de ses Essais. De ses périples à l’étranger, Montaigne rapporte son Journal de voyage, dont le manuscrit, conservé pendant près de 200 ans au château à l’insu de tous, est découvert en 1770. Le coffre en cuir clouté dans lequel il a été retrouvé est d’ailleurs visible dans sa chambre. En homme passionné de culture, Montaigne apprend aussi la langue des pays visités – il en aurait maîtrisé parfaitement neuf, si nos calculs sont exacts. 

(suite de l’article après les photos)

Son trésor ? Ses livres…

À la fin de son second mandat, en 1585, il se remet à la tâche et prépare une nouvelle édition des Essais qu’il publie en 1588 à Paris. C’est là qu’il rencontre une jeune fille originaire de Picardie, Marie Le Jars de Gournay, avec qui il se lie d’amitié. Érudite et elle-même femme de lettres, elle est moquée à la cour parce qu’elle n’est pas très belle. C’est grâce à celle qu’il appelait “ma fille d’alliance” que la quatrième édition de ses Essais est publiée après sa mort. Marie devait d’ailleurs même hériter d’une partie des biens de Montaigne, et notamment de ses livres. Mais Éléonore, sa fille unique, s’y est bien entendu opposée. 

Une visite passionnante et émouvante

Les deux dernières années de sa vie, Montaigne les passe dans sa chambre du premier étage de la tour, où il écoute les offices de la chapelle seigneuriale du rez-de-chaussée, grâce à un conduit acoustique aménagé dans le mur. Il meurt à 59 ans. Nous ne saurions trop vous conseiller d’aller découvrir cette tour de Montaigne, dont la visite est aussi émouvante que passionnante. C’est justement par la chapelle du rez-de-chaussée qu’on entre dans l’édifice, après avoir franchi la porte du château originel. Cette porte, on dit que Montaigne la laissa ouverte lors d’une tentative d’assaut de protestants. En pleine époque d’opposition entre les catholiques et les protestants, le Seigneur des lieux aurait même organisé un banquet pour ces troupes hostiles… qui repartirent du château heureuses (et ivres). La chapelle est sombre et plutôt exiguë, de forme circulaire, comme la tour elle-même. On y note la présence de l’Archange Saint-Michel, peint au-dessus de l’autel… puisque Montaigne fut chevalier de l’Ordre de Saint-Michel fondé par Louis XI.

Dormir et penser au-dessus de Dieu

Sur le lustre, une croix évoque aussi l’ordre des Templiers. Montaigne en aurait-il été ? C’est probable puisqu’on sait de lui qu’il voulait faire partie de tout. Au plafond, des étoiles sont peintes sur un bleu profond, symboles de Dieu. Montaigne aimait souvent plaisanter sur la position de cette chapelle au rez-de-chaussée, juste sous sa chambre et sa librairie, pour lancer qu’il dormait, lisait et écrit “au-dessus de Dieu”. Un quasi-blasphème pour l’époque ?

Après avoir monté un étroit escalier en colimaçon aux marches de différentes hauteurs (pour tromper l’ennemi au cas où) et usées par le temps, on découvre la chambre de l’homme de lettres, avec ses impressionnantes tomettes d’époque. Quant à l’une des deux fenêtres, on dit que Montaigne l’avait recouverte de tissus puisqu’il existait un impôt sur les ouvertures fermées par des menuiseries. Bien entendu, la seule cheminée ne suffisait pas à faire faire monter la température durant l’hiver…  ■

Retrouvez la suite de cet article et bien d’autres en lisant le numéro 7 du magazine L’Édition Périgord que vous pouvez commander et recevoir dans votre boîte aux lettres en cliquant ici.

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